Les
Inrockuptibles du 7 Janvier 1998
"Tous derrière et lui devant"
L'Avenir est devant, le premier album de Mendelson, tombait
il y a quelque mois comme un cheveu sur la soupe du rock français.
On y chantait (très) bien la banlieue, mais avec des mots inédits.
On y chantait drôlement l'inadaptation, mais avec des maux inédits.
Le rock d'ici n'a vu en ce disque économe et redoutablement précis
qu'un nouveau volet du minimalisme Norme Française. Dans ces guitares
sèches et ces mots arides, on n'entend pourtant que luxuriance
et imagination.
Dans sa biographie consacrée au compositeur, Andrew Laing décrit
Mendelssohn – bien né et admirablement éduqué
– comme une anomalie dans la musique que XIX° siècle.
Anomalie parmi leurs contemporains, les franciliens de Mendelson le sont
assurément. Remarquablement éduqués, Pascal bouaziz
et Olivier Féjoz le sont aussi, citant audacieusement et dans la
même phrase Palace Brothers et Springsteen (une passionnante obsession
du duo), Pavese et Diabologum, Joy Division et le contrebassiste Claude
Tchamitchian. Bien nés, par contre on n'en est pas sûr.
"Quand on est né dans une maison ou un appartement, on ne
peut pas avoir la même vision du monde que quelqu'un qui est né
dans un immeuble de 500 m de long 300 m de haut avec six cent personnes
sous le même toit."
La banlieue…Chez Mendelson, aucune glorification, aucune mythologie.
"La banlieue n'apparaît que dans deux chansons. J'y ai
vécu, ce n'est pas très intéressant. C'est important
dans ma vie, mais je ne pense pas que ce soit si important dans l'album.
C'est un décor, il n'y a pas de propos, pas de théorie,
pas d'esprit de revanche. Une chanson comme Combs-la-Ville, c'est un gag.
D'ailleurs il y a plein de gags comme ça en Banlieue. Ces statues,
ces immeubles c'est forcément un gag. Il y a beaucoup d'irresponsabilité,
les gens commencent à se rendre compte qu'on s'est foutu de leur
gueule."
Il y aussi, sur l'album de Mendelson, quelques belles obsessions usées
comme des noyaux de cerise pour avoir trop longtemps tournées en
bouche, ruminées. Des obsessions pas très spectaculaires
–Mendelson ne chante pas l'envie de bombes ou les serial killers
– mais quand même inquiétantes. Mendelson se défend
de chanter la banlieue – elle n'apparaît effectivement que
deux ou trois fois-, mais elle crève pourtant l'écran, envahit
tout, plus monstrueuse et étouffante que dans des milliers de disques
de Rap. Il y a aussi le grand frère, ombre derrière laquelle
traînent quelques boites de conserves pas très ragoutantes:
cette nostalgie fait mal aux mots, racle la gorge, torture la mémoire.
S'il existe des antécédents à la musique de Mendelson,
on est priés de les rapporter au journal, qui transmettra : car
jamais, pas plus à l'étranger qu'en France, on n'avait additionné
les guitares et les mots, dans une luxuriance à peine visible à
l'œil nu, que les myopes ont bien évidemment prise pour un
minimalisme commun : "C'est terriblement pesant cette étiquette
minimaliste, je ne vois pas le rapport…Le fauteuil était
libre, on nous a installés dedans…C'est navrant, ce manque
de passion, aussi bien dans les groupes, les journaux que les maisons
de disques. Des étiquettes comme nouvelle chanson française
ou minimalisme, c'est d'une condescendance…"
"La chanson c'est aussi bien Brassens, Brel, que Dylan et Neil Young.
On ne se rend pas compte de ce que les américains ont apportés
à la chanson. On peut être influencé par les états
unis et écrire en français. Ca paraît évident
à un romancier mais pas à un musicien. Tous les poètes
américains ont lu Rimbaud, mais si peu de chanteurs ont vraiment
écoutés Dylan ou Springsteen. Moi, je ne fais pas de la
poésie, pas de la littérature, pas du cinéma : je
fais de la chanson. Mes chansons ne sont pas des raccourcis de nouvelles"
"mais ce n'est pas non plus complètement inédit. C'est
une tradition qui remonte à loin, avec des petites tentatives avortées,
comme certaines chansons parfaites de David Mac Neil, de Nino Ferrer.
Finalement le culot, ça reste la différence entre les français
et les américains : Smog, je ne trouve pas ça grandiose,
mais c'est gonflé. Il joue sur un accord et il s'en fout complètement.
Married Monk ou diabologum arrive à jouer ainsi, dégagés
de toute contingence, ils explorent leur monde."
Pour explorer le monde, disait Magellan, mieux vaut avoir une bonne
boussole. Comme beaucoup d'entre nous il faudra à Mendelson un
phare –un ami plus vieux faute de grand frère aux goûts
décents- puis une boussole – un magazine de rock, ce journal
de bord pour vérifier où vas sa vie : " C'est à
l'adolescence que j'ai commencé à écouter des disques
en boucle, de façon obsessionnelle, sans affaire de goût,
sans se poser de questions. Une cassette de Pink Floyd surtout…J'avais
envie de rejoindre ce monde-là, d'en faire partie : J'étais
certain que la vie deviendrait facile le jour où je saurais jouer
de la guitare, que j'allais trouver l'amour, surtout une place dans la
vie. C'était le seul moyen que je voyais de donner un sens à
ma vie. Je voulais faire partie d'un gang. Trouver les vrais gens qui
écoutaient les vrais disques. En terminale, j'ai trouvé
deux amis passionnés comme moi :Soudain parce qu'on écoutait
les bons disques, la vie devenait plus belle…"
La calamité pour Mendelson, c'est le badaud, le touriste pressé,
venu là parce qu'il y avait de la lumière (noire), parce
que le groupe était proposé par un label remarquable (Lithium).
Car exigeante et sévère, la musique de Mendelson ne se dévoile
qu'en parfaite intimité, après plusieurs rencontres. Comme
il existe un casual sex – on se rencontre, on tire vite fait, on
se sépare en faisant semblant de se filer un numéro de téléphone
- , il existe une casual music qui ne nécessite ni promesse ni
parcours du combattant. Celle de Mendelson pas très portée
sur le décolleté ou la main aux couilles, peut rebuter.
Cette musique gagne pourtant à être connue intimement, ne
dévoilant son humour et son luxe qu'une fois levé son voile
très mince d'austérité. "Une chanson comme
"Je n'ai plus de souvenirs d'une vie avant ", ça peut
nous faire marrer. Les gens voient beaucoup de sérieux mais ce
disque est aussi motivé par la rigolade. Dans les paroles, il y
a beaucoup de dérision." Aux Grosses Têtes on n'est
pas certain que les vannes de Mendelson feraient poiler Thierry Roland.
Il y a pourtant quelques moments particulièrement cocasses et déconcertants
dans L'Avenir Est Devant. Mais comme c'est dit au milieu d'un champ de
bataille, sur un terrain miné, ça fout tout bancal, tout
bizarre, tout déséquilibré. Et c'est précisément
toute la grande séduction subtile de Mendelson : N'être jamais
là où on l'attend, mais pas pour autant posté droit
comme la justice, là où on ne l'attend pas. N'être
personne et nulle part. Etre en banlieue de toute musique répertoriée,
ce no-man's land où l'homme justement est un no-man. Ici, dans
la friche, parmi les statues comiques et la misère normale, vit
et écrit Mendelson. Qui n'ayant pas fait médecine, ne prend
jamais sa plume pour un scalpel ou un stéthoscope. "Je
n'ai pas le sentiment de me racler le fond de l'âme. Parler de sujets
personnels, c'est légitimé par le fait que c'est cohérent
avec les chansons, que ça fait partie d'un tout. Si ça n'avait
aucun rapport là oui ce serait impudique. Il y a une chose qui
m'horripile : ces chanteurs qui disent faire une thérapie avec
leurs chansons. T'as envie de leur dise d'aller se faire soigner et d'arrêter
la musique. Si t'as besoin d'une thérapie, fais une analyse, pas
une chanson. Ce ne sont pas même des confessions, mais des constructions
volontaires, des créations, du travail tout simplement. Même
s'il est très déprimé, ça ne viendrait jamais
à l'idée d'un artisan de se dire "tiens je vais me
faire une petite thérapie" quand il fabrique une chaise. Même
si par ailleurs, de la faire cette chaise, ça lui fait du bien."
La chaise de Mendelson est électro-acoustique. On la jurerait
inhospitalière, elle se révèle pourtant diaboliquement
accueillante. On la dit bancale, elle impressionne par sa résistance
aux tests de force (écoute répétée, quolibets
d'amis sourdingues). C'est surtout une chaise qui a eu le courage de ne
pas rester entre deux chaises, qui a choisi- beaucoup de groupes d'ici
seraient heureux de tirer à pile ou face – entre le rock
et la chanson, entre l'hôpital et la charité : soit ni l'un
ni l'autre. La meilleure voie pour mener une existence de bâton
de chaise.
Jean-Daniel Beauvallet.
Les
Inrockuptibles du 8 octobre 1997
"Histoires Naturelles"
Disque singulier et foudroyant, le premier album de Mendelson mérite
le détour hors autoroute, puis le séjour prolongé.
Avertissement liminaire visant à avertir le lecteur (qui en vaut
ainsi deux ce qui accroit dans des proportions non négligeables
l'audience de ce papier) et à marquer une infranchissable ligne
de démarcation : Qui traversera au pas de charge le territoire
délimité d'un trait extrafin par Mendelson risque fort d'en
repartir sans rien avoir remarqué des beautés, pourtant
frappantes, de l'endroit. Hormis l'imparable hymne à la résistance
qu'est Je ne veux pas mourir, ces fiers chants de mal d'aurore préfèrent
mourir que de se rendre à l'évidence. Les inconditionnels
du test décisif de la première écoute devront se
faire violence car L'Avenir est Devant (ce titre est-il bien raisonnable
?) est de ces albums qui se méritent mais qui rendent au centuple
le peu qu'on aura daigné leur donner.
Deuxième avertissement : il faudrait voir à ne pas prendre
Mendelson pour une quelconque Samaritaine de la pop. En toute logique,
on n'y trouve donc pas tout. Pas de fil mélodique bien visible
auquel se raccrocher, pas de refrain fédérateur, moins encore
de démonstration de force ramenarde, mais une atmosphère
fatiguée de fin de bal perdu qu'installe une écriture suffisamment
singulière et exigeante pour réussir à plaire sans
chercher à le faire. Pour ces quinze vignettes bigrement adhésives,
l'élégance est de rigueur et la rigueur a de l'élégance
: Des guitares futées s'abouchent avec des mots affutés,
débités sur le mode parler-chanter d'un ton monocorde et
nonchalant. Loin d'agiter le sinistre spectre de l'ennui, cette diction
laconique sert à merveille la causticité dont Mendelson
fait montre plus souvent qu'à son tour. Et si l'humour pince-sans-rire
de ces noueux drilles déroute jusqu'à la perplexité
le temps d'Une Dernière, il fait d'irrésistibles ravages
à l'occasion d'une Histoire Naturelle réjouissante, prétexte
à remuer un couteau grinçant dans la plaie d'une certaine
tendance de la jeunesse française (son vocabulaire de vingt mots,
ses pseudo-provocations minables), ou de Combs-La-Ville et sa subtile
réappropriation d'un fameux leitmotiv durassien pour dire la morne
réalité de la banlieue. Inutile de préciser qu'on
se situe alors à mille bornes de l'imagerie clinquante et démagogique
refourguée à la va-comme-je-te-nique par les marchands de
haine molle. On ne met pas longtemps à constater que Mendelson
n'a pas sa langue fourchue dans sa poche. C'est une vraie colère
qui habite le duo, intelligente et blanche, qui n'a pas besoin de beuglements
pour exister, qui s'avance masquée sous des airs impassibles pour
mieux nous prendre à revers, nous mettre en joue et, inéluctablement,
sous son joug délicieux. On s'aperçoit vite que ces gens-là
savent aussi poser de bonnes questions, tout en ayant l'élémentaire
politesse de n'apporter aucune réponse : "Tant que ça
casse je suis vivant, j'en profite je suis vivant, mais où sont
passés les gens ? "
A l'évidence, le bruit de ces grelots de rage susurrée ressemble
comme un frère d'âme à celui provoqué à
coup de vers brisés par Houellebecq. Grâce au poète
déchiré du siècle de l'emballage, on avait découvert
le sens combat. On en connaît dorénavant le son.
Jérome Provencal |